samedi 12 janvier 2008

Peut être nuit !


La moiteur envahissait les moindres recoins du club. Sur la piste se déhanchaient des créatures toutes plus affriolantes les unes que les autres. Une blonde vaporeuse, pulpeuse me tirait une gigantesque langue ornée d’un piercing brillant. Lentement elle fit glisser la bretelle de son soutien-gorge le long de son bras gauche. Elle me regardait en souriant. Ses yeux exorbités jaillirent et se propulsèrent vers ma table à une vitesse sidérale. Ils commencèrent à danser sur ma table. Je me sentais blanc, je me transformais en souris moi qui avais horreur des rats. Il fallait que je parte, vite, sans demander quoi que ce soit à quiconque. Ne pas essayer de comprendre. Partir. Se sauver. Le salut dans la fuite, l’oubli. J’esquissais un geste en direction d’une serveuse pour la prévenir, qu’elle m’aide. Les yeux sur la table étincelèrent d’un air mauvais. Je frissonnais chaudement. Ma respiration s’accéléra, je réussis à me lever et je ne pus que hurler sans réussir à couvrir cette saloperie d’électro. Une bouche édentée s’ouvrit sur la table à côté des yeux dans un sourire horrible. Je m’évanouis et m’affaissa lourdement sur la table. La bouche, béante m’attira et je vis, au moment de sombrer, les yeux esquisser un pas de deux. Mouvements harmonieux emplis de grâce.
Ils étaient verts.
Les yeux.
On me secouait, m’appelait fermement. J’émergeais haletant. Peur. La boîte de nuit avait changé. Plus de musique, du brouhaha de conversations. Je pris sur moi et regardais le groupe de personnes qui parlaient au milieu de la salle. Un des hommes se dirigea vers moi.
" Alors vous vous réveillez tout de même, avec tout ce grabuge dans la boîte, réussir à dormir, vous deviez en tenir une bonne ? Ça va vous ?
- Oui, qui êtes vous ? Mais je n’ai rien bu vous savez !
- Lieutenant de police, on a été appelé, il y avait un type complètement fou, on a fermé la boîte pour pouvoir l’évacuer.
- Fou ? C’est à dire ?
- Il parlait d’oreilles qui l’enlaçaient, un givré je vous dis, direct Sainte Anne pour lui."

Des oreilles, surtout me taire. Pas d’œil baladeur, pas de bouche attirante. Que du normal ! Je saluais le flic et commençais à partir. L’angoisse me serrait les tripes, j’arrivais dehors alors que l’aurore pointait. Je m’effondrais sous la première porte cochère. Du calme. Tout peut s’expliquer. Respire. Je me relevais, mon regard glissa sur une affichette informant du congé momentané du psychanalyste du troisième. Je rentrais chez moi et pris une douche glacée. Je ne restais pas seul et allais prendre un petit déjeuner au bar du coin "le dragon blanc ". Il était dix heures et à midi je devais travailler. Putain merde, qu’est-ce qui m’arrivait ? Je n’avais pas menti au flicard, je ne buvais plus grand chose depuis que je conduisais des trains. Pareil pour le shit, un lointain souvenir. Je pensais alors à Paul, fumeur intensif étant jeune et à ses hospitalisations quasi annuelles en clinique psychiatrique. " D’avoir trop fumé ça lui a enlevé des cases " m’avait dit sa mère, "tu vois vos conneries à quoi ça a servi ".
Merde.
Je repassais à mon domicile en coup de vent, mon sac sur l’épaule je me hâtais vers le dépôt. Je signais les feuilles de route d’une main gauche légèrement tremblante. Je longeais les quais et bifurquais vers la passerelle. Je passais dessous et arrivais à ma machine. J’ouvris la porte et grimpais dans la locomotive. La procédure de mise en route effectuée, je descendis me griller une cigarette avec deux autres conducteurs de passage pour la demi-journée. Le chef de circulation m’envoya me positionner en gare une vingtaine de minutes avant le départ pour attendre les premiers passagers qui ne manqueraient pas d'arriver. Juliette, la petite serveuse du bar me fit signe. J’allais la voir et elle m’offrit un café. " Pour la route " me dit-elle en souriant gaiement. Elle était fraîche et belle.
Je regagnais ma machine et me hissais lestement à l’intérieur. Un raton-laveur assis sur le siège du conducteur me regardait. "Aujourd’hui, c’est moi qui conduit me dit-il ! "